Guerre de Classe 09/2019 : “Gilets jaunes”
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Nous avons récemment publié sur notre blog, au fur et à mesure que
nous en prenions connaissance et qu’ils nous parvenaient, des documents
produits par et autour du mouvement des « gilets jaunes » qui secoue la
France depuis plusieurs semaines. Ce qui suit est une sorte
d’introduction à l’ensemble de ces matériaux (introduction que nous
publions habituellement avant, il est vrai).
Nous ne reviendrons pas sur l’histoire du mouvement, sur des
événements ou des expressions particulières. Nous pouvons renvoyer les
lecteurs intéressés vers différents sites web et blogs qui assument très
bien cette tâche.
Ce dont nous voudrions parler ici, c’est de la manière dont nous
abordons ce mouvement, comment nous l’analysons, comment nous évaluons
son importance dans le cadre de la lutte des classes. Et nous ne voulons
pas cacher que divers articles crachant sur ce mouvement produits et
reproduits par beaucoup de groupes d’ultragauche ont été une inspiration
(négative) pour cette contribution, ce que nous pourrions appeler :
« Que NE PAS faire ».
Malgré que nous soyons conscients des nombreuses faiblesses exprimées
par le mouvement et que nous soyons les premiers à les critiquer, nous
pouvons difficilement être d’accord avec la méthodologie utilisée par
ces groupes – méthodologie qui limite le mouvement uniquement à ces
faiblesses, qui généralise ces points faibles et ces illusions exprimées
seulement par une partie des « gilets jaunes » comme si c’était la
nature du mouvement, bref une analyse saisissant la classe comme une
chose statique, sociologique, mécanique…
Nous n’allons pas passer en revue tous les arguments utilisés par
l’ultragauche contre les « gilets jaunes », mais nous devons au moins
mentionner les plus absurdes pour y répondre, pour remettre ce mouvement
à sa juste place dans la lutte des classes, pour le remettre sur ses
jambes et qu’il ne marche plus sur la tête…
Deux conceptions de la classe : le prolétariat en tant qu’entité sociologique versus le prolétariat en tant que force en lutte
Beaucoup de ceux qui méprisent le mouvement des « gilets jaunes »
prétendent qu’il s’agit d’un mouvement interclassiste, un mélange de
bourgeoisie et de prolétariat, une multitude d’intérêts et de programmes
historiquement opposés. Un tel point de vue est basé sur une définition
sociologique de la classe ouvrière : prolétaire = ouvrier, voire même
ouvrier d’usine si possible.
Pour nous, le prolétariat n’est pas un groupe statique d’individus
définis par leur salaire, mais plutôt une entité qui se structure dans
la lutte et à travers la lutte, une force qui n’existe qu’en tant que
potentialité durant les périodes de paix sociale et qui ne se transforme
en une force réelle que dans la lutte, trempée dans son programme
historique qu’elle exprime partiellement dans tout conflit avec le
Capital.
Nous définissons bien sûr le prolétariat comme la classe exploitée,
mais nous ne nous laissons pas berner par de nouvelles formes de statuts
sociaux que le capital invente pour être plus flexible, plus rentable.
Tous ces petits commerçants, indépendants et cols blancs qui dérangent
tant les « petits malins » de l’ultragauche partagent exactement les
mêmes conditions de vie (parfois même pires), les mêmes problèmes, la
même misère que les « prolétaires purs ».
C’est en fait une stratégie très réussie du Capital et de sa
démocratie que de dissimuler différentes catégories du prolétariat sous
le masque de différentes couches de la société afin d’empêcher la classe
de se reconnaître, de s’unir. Et d’en présenter d’autres, qui sont en
effet formellement des salariés, comme s’ils étaient des prolétaires,
même s’ils restent objectivement de l’autre côté de la barricade.
Le développement même de la démocratie se charge de cacher
l’importance actuelle de la simplification/exacerbation des
contradictions du capitalisme en effaçant en permanence les frontières
de classe. Cela se voit ou s’est vu affirmé par des formes idéologiques
spécifiques qui développent la confusion la plus complète et
principalement celles basées sur un ensemble complexe de statuts formels
et juridiques qui diviseraient la société – non pas en deux classes
antagoniques – mais en un nombre indéterminé de catégories plus ou moins
floues et élastiques.
Ainsi, par exemple, à un pôle de la société, un ensemble de
formes juridiques pseudo-salariales tendent de camoufler la nature
bourgeoise de structures entières de l’Etat. C’est le cas par exemple,
des officiers de l’armée ou de la police, des haut-gradés de
l’administration ou des entreprises, des bureaucrates de tout type… qui,
sous ce couvert, sont rangés dans des catégories neutres, sans
appartenance de classe ou, pire encore, sont assimilés à des « couches
ouvrières ».
A l’autre extrême de la société se produit le phénomène
complémentaire : un ensemble de formes juridiques de pseudo-propriété –
coopératives « paysannes », réformes agraires, artisanats,… – camouflent
objectivement l’existence d’immenses masses de prolétaires associées
par le capital pour produire de la survaleur (c’est-à-dire dont le
caractère salarial est déguisé).
Ce mécanisme, comme tant d’autres, tend à nous présenter comme
opposés et comme ayant des intérêts particuliers, les différents
secteurs du prolétariat : urbains/agricoles, actifs/sans travail,
hommes/femmes, « ouvriers »/employés, travailleurs
manuels/intellectuels… [GCI, Thèses d’Orientation Programmatique, thèse n°14]
Enfin, la preuve ultime de la position sociale de ceux que certains
gauchistes refusent d’appeler des prolétaires (la liste varie selon les
groupes mais on peut retrouver cette approche vis-à-vis des
indépendants, petits propriétaires, chômeurs, retraités, etc.), c’est le
fait que la présence de ces couches sociales dans le mouvement ne
change rien au programme du mouvement. Ces groupes de prolétaires
« impurs » n’imposent aucun agenda de la petite bourgeoisie (comme
certains voudraient nous persuader que c’est là leur intention), au
contraire, ils rejoignent et développent la critique prolétarienne, le
programme prolétarien.
Au lieu de ces pseudo-analyses sociologiques qui continuent d’occuper
les gauchistes, le mouvement s’articule plutôt en se définissant comme
une classe antagoniste à la classe bourgeoise, à la société bourgeoise :
Nous, travailleurs, chômeurs, retraités, nous vivons du salaire
(y compris déguisé en chiffre d’affaire pour les auto-entrepreneurs) et
des allocs. Ce salaire et ces allocs, on les obtient en vendant notre
force de travail à un patron. Et c’est grâce à ça qu’il arrive à se
faire de la thune, c’est grâce à ça que l’économie roule, sur notre dos.
On peut comprendre les appels à l’unité au sein des gilets jaunes. Mais
quand cette unité signifie marcher avec ceux qui nous exploitent au
quotidien et avec leurs représentants politiques ce n’est plus de
l’unité, c’est de la domestication. En réalité, nos intérêts sont
irréconciliables et cela s’exprime aussi au niveau des revendications. [Jaune – Le journal pour gagner]
Un autre argument courant que certains gauchistes utilisent, c’est
que les « gilets jaunes » ne sont pas un mouvement prolétarien, parce
qu’ils représentent une minorité, parce que la majorité de la classe n’y
participe pas. Mais cette logique est complètement à l’envers. Nous
pouvons difficilement reprocher à ceux qui luttent que les autres ne le
font pas. Oui, le mouvement doit se répandre et se généraliser, oui, le
reste de la classe doit s’arrêter de le regarder à la télévision ou d’en
discuter sur Facebook, il doit le rejoindre dans la pratique. Et les
« gilets jaunes » en sont assez conscients car on peut lire de nouveaux
appels au reste de la classe pour les rejoindre.
Cependant, ce n’est pas la quantité qui peut être une mesure pour
savoir si quelque chose est prolétarien ou non. Le mouvement s’est en
effet développé depuis le début en nombre mais surtout dans son contenu.
Les « gilets jaunes » ont dépassé, grâce à l’afflux des travailleurs et
des chômeurs qui les ont rejoints, la forme originale d’un mouvement
contre les impôts et ils continuent à créer un mouvement contre nos
conditions de vie, devenant une lame de fond qui ébranle toute la
société, en France du moins.
Tout ce qui s’est vécu et continue de se vivre sur les
ronds-points, les blocages ou les émeutes, a permis à tout un peuple de
retrouver sa capacité politique, c’est à dire, sa capacité d’agir que
même un RIC ne pourra pas contenir. [Gilets Jaunes. Fin de première manche ?]
Et c’est ce contenu (qui s’inscrit tendanciellement dans le processus
de négation pratique et théorique de l’Etat bourgeois, de l’économie,
de l’idéologie…) qui le définit comme un mouvement prolétarien au-delà
de la conscience de ses protagonistes, au-delà des drapeaux qu’ils
agitent.
Tout le secret de la perpétuation de la domination bourgeoise
peut ainsi se résumer à la difficulté du prolétariat à se reconnaître
pour ce qu’il est réellement ; à reconnaître dans la lutte de ses frères
de classe (dans quelque partie du monde que cela soit et quelles que
soient les catégories dans lesquelles la bourgeoisie le divise) sa
propre lutte, condition indispensable à sa constitution en force
historique. [GCI, Thèses d’Orientation Programmatique, idem]
Ce n’est pas un hasard si ceux qui ont du mal à voir le prolétariat
dans les « gilets jaunes » sont finalement ceux qui ont difficile à voir
notre classe dans les révoltes des jeunes en banlieue ou les
soulèvements hors d’Europe. Comme l’un des textes que nous publions le
dit :
La plupart des camarades hostiles à la mobilisation des gilets
jaunes le sont avant tout parce qu’ils ont choisi de ne pas faire la
séparation entre ce qui est dit (discours de légitimité très médiatisé)
et ce qui est fait (les pratiques que les différents blocages énoncent). [Gilet ou gilet pas ? Il faut de l’essence pour tout cramer]
Ils limitent le mouvement à ses faiblesses et ses idéologies sans voir le processus de leur dépassement.
L’histoire des luttes de notre classe nous montre que beaucoup de
mouvements prolétariens similaires, surtout lorsqu’ils proviennent de
l’extérieur des lieux de travail et ne sont donc pas directement
confrontés à la production de marchandises, ont tendance à débuter avec
des revendications liées à nos intérêts de classe d’une manière confuse.
Tant que leur dynamique est sur une courbe ascendante, tant qu’ils
attirent des prolétaires au-delà des frontières sectorielles et
sociologiques que nous impose le Capital, tant que s’intensifie la
confrontation avec l’Etat dans ses multiples incarnations, la nature de
classe du mouvement devient de plus en plus claire.
Ceci conduit à la cristallisation de deux courants opposés dans le
mouvement. Le courant prolétarien – qui jusqu’à présent a le dessus à
l’intérieur du mouvement – pousse à des ruptures toujours plus profondes
avec la société capitaliste : pas de dialogue avec la classe
dirigeante, affirmation explicite de l’affrontement violent avec les
forces répressives, tentatives d’étendre la lutte sur les lieux de
travail, tentatives d’internationalisation de la lutte, etc. Un autre
courant, social-démocrate celui-là, tente de pacifier la lutte et de la
ramener dans le cadre démocratique de la citoyenneté – dans ce cas,
représenté par toutes ces « vedettes médiatiques » provenant des rangs
des « gilets jaunes », tous ces petits « leaders » qui tentent de
transformer le mouvement en parti politique ou en syndicat, ou de le
relier aux partis et syndicats existants, tous ces appels au référendum
et aux révélations patriotiques.
Nous voulons souligner que la constitution du prolétariat en classe
est un processus, un processus de lutte, un processus dans lequel notre
classe clarifie sa position en tant que classe n’ayant qu’un seul et
unique intérêt à défendre, un processus de rupture d’avec l’idéologie
bourgeoise et ses forces matérielles :
Ce colosse ne sait plus comment il s’appelle, ne se souvient plus
de son histoire glorieuse, ne connaît pas le monde où il ouvre les
yeux. Pourtant, il découvre, à mesure qu’elle se réactive, l’ampleur de
sa propre puissance. Des mots lui sont soufflés par de faux amis,
geôliers de ses songes. Il les répète : « français », « peuple »,
« citoyen » ! Mais en les prononçant, les images qui reviennent
confusément du fond de sa mémoire jettent un trouble. Ces mots se sont
usés dans les caniveaux de la misère, sur les barricades, les champs de
bataille, lors des grèves, au sein des prisons. C’est qu’ils sont du
langage d’un adversaire redoutable, l’ennemi de l’humanité qui, depuis
deux siècles, manie magistralement la peur, la force et la propagande.
Ce parasite mortel, ce vampire social, c’est le capitalisme !
Nous ne sommes pas cette « communauté de destin », fière de son
« identité », pleine de mythes nationaux, qui n’a pas su résister à
l’histoire sociale. Nous ne sommes pas français.
Nous ne sommes pas cette masse faite de « petites gens » prête à
s’allier avec ses maîtres pourvu qu’elle soit « bien gouvernée ». Nous ne sommes pas le peuple.
Nous ne sommes pas cet agrégat d’individus qui ne doivent leur
existence que par la reconnaissance de l’État et pour sa perpétuation. Nous ne sommes pas des citoyens.
Nous sommes ceux qui sont obligés de vendre leur force de travail
pour survivre, ceux dont la bourgeoisie tire ses profits en les
dominant et en les exploitant. Nous sommes ceux que le capital, dans sa
stratégie de survie, piétine, sacrifie, condamne. Nous sommes cette
force collective qui va abolir toutes les classes sociales. Nous sommes le prolétariat. [Appel de « Gilets Jaunes » de l’Est Parisien]
« Blocage de l’économie » versus sa destruction
Beaucoup reprochent aussi au mouvement le fait qu’il ne fait pas
réellement de mal à l’économie, qu’il ne bloque pas le flux des
capitaux. Et un autre argument suit logiquement : il ne se développe pas
sur les lieux de travail, donc il n’a rien à voir avec la façon dont
les travailleurs s’organisent.
Rappelons tout d’abord que le mouvement n’est pas sans effet pour
l’économie capitaliste. Les barrages sympathiques des ronds-points, tous
ces gens qui dorment et se les gèlent sous des tentes, ne changeront
sûrement rien. Mais n’oublions pas qu’il y a eu aussi des occupations
réussies et des blocages de dépôts d’essence qui ont provoqué (trop peu
de temps malheureusement) une pénurie de produits pétroliers et donc une
panique sur le marché. N’oublions pas que les « gilets jaunes » ont
également occupé de nombreux points de péage, laissant les gens
emprunter les autoroutes gratuitement, ils ont aussi détruit des
milliers de radars sur les routes de France. Et n’oublions pas non plus
les émeutes, les destructions spectaculaires dans les centres-villes et
les divers pillages qui représentent aussi un certain niveau d’attaque
directe contre le capital, et donc réappropriation d’une petite
partie de la richesse sociale produite par notre classe, par nous autres
prolétaires, juste un minuscule et infime moment du processus général
d’expropriation des expropriateurs, de négation de la propriété privée
des capitalistes [“Gilets jaunes” – La lutte continue]. En
d’autres termes, les « gilets jaunes » ont fait beaucoup plus de mal à
l’économie qu’aucune grève générale syndicaliste négociée et préparée
avec les patrons longtemps à l’avance.
Mais bien sûr, tout cela n’est pas suffisant. Si le mouvement veut
survivre, se renforcer, généraliser et développer sa critique pratique
jusqu’aux conséquences ultimes, il doit aller plus loin. Et en effet
pour cela, il doit s’organiser aussi sur les lieux de travail. Jusqu’à
présent, ce n’était pas facile :
Le mouvement des gilets jaunes s’arrête aux portes des
entreprises, c’est-à-dire là où commence le règne totalitaire du
patronat. Ce phénomène résulte de différents facteurs.
Retenons-en trois : 1) L’atomisation de la production, qui voit un
grand nombre de salariés travailler dans des (très) petites entreprises
où la proximité avec l’employeur rend très difficile la possibilité de
faire grève. 2) La précarité d’une grande partie des salariés, qui
détériore gravement leur capacité à assumer une conflictualité dans les
boîtes. 3) L’exclusion et le chômage, qui placent en dehors de la
production bon nombre de prolétaires. Une grande partie des gilets
jaunes est directement concernée par au moins l’une de ces trois
déterminations.
L’autre composante du salariat, celle qui bosse dans les
grandes sociétés et qui dispose d’une meilleure sécurité de l’emploi
(CDI et statut) paraît être sous cloche, sur laquelle la puissante force
du mouvement se rompt comme la vague sur le rocher.
Un traitement particulier, composé d’efficience managériale et de
honteuse collaboration syndicale, est réservée à cette frange de la
population travailleuse. La bourgeoisie a bien compris que cette
catégorie des travailleurs a le pouvoir de frapper la production
capitaliste en son cœur, par la grève générale illimitée. C’est
pour cela qu’elle consolide la pacification en donnant des sussucres en
formes de « primes de fin d’année exceptionnelles ». [Appel de « Gilets
Jaunes » de l’Est Parisien]
Mais la question est encore plus complexe. Une action « en usine »
n’est pas une garantie de quoi que ce soit et la grève n’est pas
synonyme d’une action révolutionnaire car c’est son contenu qui
détermine son caractère. Des grèves de type syndical pour quelques
miettes, « lorsque la situation de l’entreprise le permet », ne
changeraient rien, même si elles échappaient au contrôle des syndicats,
si elles étaient organisées par les travailleurs eux-mêmes ou si elles
représentaient un pas vers la mystérieuse « autonomie ouvrière » (au
sein du capitalisme) que ses partisans veulent construire par une
multiplication de revendications.
L’organisation sur les lieux de travail ne peut pas être mise en
opposition avec la nécessité de s’organiser sur une base de classe
également à l’extérieur, dans toute la société. Faire cela signifie
suivre la même logique que celle qu’applique la bourgeoisie afin de
diviser le mouvement en bons travailleurs (dans les usines) et mauvais
émeutiers (dans les rues). La citation qui suit à ce sujet pourrait être
aisément désignée comme une véritable perle de la bourgeoisie bien que
provenant d’un groupe qui se revendique « du communisme » :
Les centres-villes sont un décor formidable pour la télévision et
l’Internet mais ils sont totalement opaques et désincarnés quand il
s’agit de frapper la chaîne de la valorisation du capital. Les pillages
et les dégradations de ces centres-villes opulents sont des actes
étrangers et parfois même hostiles aux centaines de milliers de
travailleurs, le plus souvent pauvres, qui y sont exploités. Les
protagonistes de ces actions violentes agissent comme des guerriers
contre les futures luttes offensives du prolétariat, contre son
autonomie, contre sa lutte contre l’exploitation et l’oppression. Ils
doivent être considérés comme des supplétifs des forces armées de la
bourgeoisie et des soutiens objectifs de l’ordre et de l’État et du
capital. [Mouvement Communiste/Kolektivně proti Kapitălu, GILETS
JAUNES : Premières tentatives à chaud de formation du peuple pour un
État encore plus fort et contre le prolétariat]
Quand l’ignoble le dispute à l’abject !!! Soulignons également que nous pourrions démultiplier à l’infini, ad nauseam,
de telles citations d’ultragauchistes qui s’autoproclament
« avant-garde » du prolétariat révolutionnaire mais qui ne sont juste
capables que de (dé)montrer où objectivement ils se situent et ce qu’ils
défendent face à un mouvement de lutte qui ne correspond pas à leur
écran de fumée idéologique et rhétorique… Nous ne les appelons en aucun
cas à saisir plus dialectiquement la matière sociale et les processus de
la guerre de classe qui se développe juste devant nos yeux. Nous disons
simplement que leurs prises de position écœurantes les placent de
l’autre côté de la barricade sociale, avec nos ennemis, et que le
prolétariat, lorsqu’il se soulèvera globalement, devra passer sur leurs
cadavres…
Mais continuons maintenant avec ce que nous disions plus haut,
l’action sur les lieux de travail est nécessaire, non pas pour négocier
un petit quelque chose pour les travailleurs de telle ou telle
entreprise ou telle branche industrielle, mais pour proposer un contenu
radical. Il ne s’agit donc pas d’une grève, ni même d’une grève
générale, il ne s’agit pas seulement de bloquer l’économie, mais de
prendre le contrôle de la production et la transformer pour satisfaire
les besoins du mouvement et détruire la logique du marché et de la
valeur qui est la cause de ce mouvement.
Nous devons employer l’extraordinaire force doublée de
détermination que ce mouvement développe pour réaliser ce que des
millions d’exploités souhaitent depuis tant d’années, sans jamais y être
parvenus : paralyser la production de l’intérieur, décider des grèves
et de leur coordination en assemblées générales, unir toutes les
catégories de salariés, dans une même optique de renversement du système
capitaliste et de réappropriation de l’appareil de production. [Appel
de « Gilets Jaunes » de l’Est Parisien]
Mais nous n’en sommes pas encore là et il n’est pas sûr que le mouvement puisse aller aussi loin.
Les « gilets jaunes » sont un mouvement contradictoire, mais certainement pas contre-révolutionnaire
Plus tôt dans ce texte, nous avons parlé de la constitution du
prolétariat en classe aussi bien qu’en tant que processus de ruptures.
Ce processus comprend nécessairement une série permanente
d’affrontements entre la classe qui est en train de s’affirmer, sa
conscience ré-émergeante obtenue dans et par la lutte pratique, et la
fausse conscience profondément enracinée dans l’esprit de chaque
individu, fausse conscience qui est la pierre angulaire de toute fausse
communauté de « citoyens », de « peuple » ou de « nation ». Il serait
fou de s’attendre à ce que tout mouvement puisse passer outre ce
processus de développement des ruptures et avoir une conscience de
classe claire dès le début, et il serait également fou de condamner un
mouvement parce qu’il ne l’a pas à un certain stade de son existence. Ce
qui est important, c’est que cette dynamique de clarification existe,
que le programme prolétarien apparaisse toujours plus explicite en
opposition à toute tentative de récupération politique et syndicale. Si
le résultat de cet affrontement est loin d’être clair à ce stade, il est
évident que ce conflit existe, qu’il continue à se développer à
l’intérieur même du mouvement des « gilets jaunes », comme cela apparaît
toujours dans tout mouvement prolétarien.
Nous pouvons déjà voir des ruptures très importantes avec les actions
traditionnelles des syndicalistes. Comme le résume l’un des textes que
nous publions :
Le mouvement s’est développé en dehors et dans une certaine
mesure aussi contre les structures traditionnelles (partis, syndicats,
médias…) dont le capitalisme s’est doté afin de rendre inoffensive toute
critique pratique. (…) Même si les média tentent d’enfermer les
manifestants dans le cadre de la « lutte contre les impôts », la
consigne universelle est plutôt « lutte contre la pauvreté en général »
dans toute sa complexité (bas salaires, prix élevés, perdre sa vie à la
gagner, aliénation…) et donc, en définitive, elle remet en question
l’ordre capitaliste en tant que tel. Le mouvement est organisé au niveau
régional et dépasse les divisions habituelles des syndicalistes selon
les branches de production. (…) Le mouvement, ou une grande
partie, est radical et donc violent et il l’assume. (…) ce qui rend
difficile l’utilisation des tactiques habituelles de la bourgeoisie pour
diviser le mouvement en « bons manifestants » et « mauvais casseurs ».
(…) Rien n’est sacré pour le mouvement, pas de symboles, pas de
légendes, pas d’identité, pas d’idéologie qui ne puissent être brûlés,
détruits, éradiqués. [“Gilets jaunes”… “Communards”… “Sans-culottes”… “Va-nu-pieds”… “Damnés de la terre”…]
Nous sommes bien sûr très critiques à l’égard du mouvement des
« gilets jaunes ». Il n’est pas très difficile de décrire les faiblesses
les plus évidentes du mouvement. Ce qui nous donne de l’espoir, c’est
qu’aucune de ces faiblesses n’est exprimée par le mouvement dans son
ensemble, pas même par sa majorité et chaque fois que telle ou telle
version de l’idéologie bourgeoise apparaît, elle doit faire face à une
critique venant du mouvement lui-même. Chaque question exprimée par le
mouvement est l’objet de contradictions, de discussions critiques et
d’un conflit plus ou moins violent entre le rejet et l’acceptation de
l’idéologie bourgeoise. C’est le processus que nous avons mentionné plus
haut – la ligne de rupture avec l’Etat n’existe pas seulement dans les
affrontements de rue, elle s’exprime aussi à l’intérieur du mouvement.
La question du nationalisme, tellement mise en avant par les médias,
est un exemple de ce processus. Oui, en effet, nous avons également vu
des drapeaux nationaux ou régionaux lors de manifestations et de
blocages. Oui, en effet, nous avons aussi lu l’histoire de certains
manifestants qui ont livré des réfugiés à la police. Mais nous en avons
vu d’autres aider des migrants, exprimer leur solidarité avec le
prolétariat en lutte dans d’autres pays, appeler à l’unité non pas sur
la base d’une communauté de cartes d’identité ou de couleur de peau,
mais sur une base classiste. Ce qui est important pour nous en tant que
communistes, ce n’est pas ce que pense individuellement tel ou tel
« gilet jaune », mais ce que le mouvement dans sa globalité apporte à la
lutte des classes, dans laquelle la rupture avec le nationalisme est un
élément important. Cela signifie être en opposition à la position
nationaliste, lutter contre elle à l’intérieur du mouvement, imposer
cette rupture au mouvement. Il existe de nombreuses expressions écrites
ou non écrites de cette lutte à l’intérieur des « gilets jaunes » :
Mais, cette liste [la première liste de 42 revendications rédigée
par la partie réformiste du mouvement en décembre 2018, note de GdC],
c’est aussi l’expression limpide d’une tendance nationaliste, avec
quatre mesures contre les étrangers, à mille lieues de nos problèmes et à
dix mille de leur solution. Faut être borné pour croire que les
problèmes en France viennent d’ailleurs. Qu’une sortie de l’Europe nous
permettrait de vivre bien ou que la chasse aux sans-papiers fera monter
notre salaire. C’est d’ailleurs précisément l’inverse qui se passerait.
(…) Les fachos veulent juste se faire une plus grande place à la table
des exploiteurs en faisant du Trump. Et nous n’avons absolument aucune
raison de les y aider.
En réalité, cette liste de revendication, tout le monde s’en
fout. Il n’y a que les politiciens pour espérer en tirer quelque chose
et bien sûr, les médias et le gouvernement, qui ne manqueront pas
l’occasion de nous faire passer pour des nervis d’extrême droite. Mais,
comme quand on appelle quelqu’un par un prénom qui n’est pas le sien,
nous n’avons pas prêté attention. [Jaune – Le journal pour gagner]
Il en va de même pour les illusions sur la démocratie (directe ou
participative), les référendums, le président, les élections, etc., la
critique apparaît toujours plus forte :
(…) une autre initiative, plébiscitée par de nombreuses
organisations politique de l’extrême gauche à l’extrême droite, allait
bientôt nous donner du fil à retordre : le RIC au nom du peuple et de la
démocratie. (…) C’est la propagande bourgeoise qui nous fait croire
qu’avant d’être des prolos, nous sommes des citoyens, que la vie des
idées précède celle des conditions matérielles. Pourtant, la République
ne remplit pas le frigo. C’est sur cette illusion que le RIC a surfé. Il
faut avouer qu’à première vue, la proposition était séduisante. On nous
disait qu’avec ça, on allait enfin pouvoir être entendus directement,
qu’on pouvait reprendre le pouvoir sur notre vie. C’est nous qui
déciderions de tout. Et sans lutter en plus, sans risquer sa vie sur les
ronds-points et dans les manifs, juste en votant, sur son ordi dans son
salon, les pantoufles au coin du feu qui crépite ! Mais dans le
commerce, quand on a un produit à vendre, on ment : « Oui, une fois
qu’on a le RIC, on peut tout faire passer ! ». C’est faux. Déjà, quel
comble de demander l’avis aux bourges pour savoir s’ils sont d’accord
pour nous augmenter ! [Jaune – Le journal pour gagner]
Cet aménagement démocratique ne réglerait rien, quand bien même
il serait adopté. Il étirerait juste l’élastique électoral tout en
maintenant le rapport entre les classes sociales – ses conditions ainsi
que ses enjeux – avec en sus la fortification du réformisme juridique,
ce parent pauvre du déjà illusoire réformisme économique. Cela
reviendrait à cautionner un peu plus directement l’asservissement
ordinaire. [Appel de « Gilets Jaunes » de l’Est Parisien]
Il en va de même pour la consigne « Macron démission » :
Pour contrer le RIC, certains d’entre nous ont dit : pas besoin
de RIC pour gagner, on veut la démission pure et simple de Macron. Cette
revendication a la bonne idée de mettre à l’honneur notre action, de
recentrer le débat sur notre force collective. En effet, c’est la rue
qui fera partir Macron, pas les urnes. Mais, juste après avoir dit ça,
tout le monde se pose la question : qui le remplacera ? C’est justement
là où le bât blesse. Macron, aussi arrogant qu’il soit, est remplaçable
et son successeur fera exactement la même chose pour défendre le profit.
Il faut clairement jeter le bébé avec l’eau du bain. Les institutions
qui existent sont là pour défendre la logique de l’argent et de
l’exploitation. [Jaune – Le journal pour gagner]
En dehors et contre les syndicats
Comme nous l’avons dit, le mouvement des « gilets jaunes » s’est
développé à partir de son refus des structures traditionnelles
d’encadrement bourgeois que sont les partis politiques et les syndicats.
Dès le début du mois de décembre, les syndicats (toutes tendances
confondues) se sont comme d’habitude mis au garde-à-vous devant le
gouvernement qui cherche un moyen de désamorcer un mouvement social qui
risque de s’étendre à d’autres secteurs du prolétariat : les
dénonciations d’interclassisme sont lancées dans une tentative
désespérée des syndicats de décourager ses membres à rejoindre les
« gilets jaunes ».
Aujourd’hui, on assiste à des velléités de « convergence des luttes »
et encore une fois le mouvement est divisé et hésitant : certains
« gilets jaunes » appellent à directement collaborer avec les structures
centrales des syndicats, d’autres par contre refusent cette
collaboration mais appellent les prolétaires dans les entreprises à
entrer à leur tour dans la lutte, ce qui est profondément correct. Des
appels ont été lancé visant à prolonger la « journée d’[in]action
nationale » du 5 février (à l’appel des syndicats et principalement de
la CGT) et à la transformer en « grève générale illimitée ». Nous tenons
à mettre en garde, si besoin en était, les camarades « gilets jaunes »
quant à la nature profonde des syndicats et du syndicalisme.
La fonction des syndicats s’est toujours révélée ouvertement dans les
moments de lutte, par leur empressement à éteindre l’incendie social.
Les syndicats, dont le rôle est normalement et précisément de prévenir
ce genre d’explosion, de servir de tampon et au besoin d’encadrer toute
expression autonome de notre classe, tentent de freiner la lutte en
feignant d’organiser ce qui les dépasse. Si après avoir sapé nos luttes
pendant des décennies, les syndicats n’ont plus vraiment la cote, le
mouvement des « gilets jaunes » qui se déroule en-dehors d’eux en est
une nouvelle preuve.
Mais une forme plus subtile se déploie pour reprendre en mains nos
luttes subversives et elle se retrouve dans toutes les luttes actuelles,
c’est ce que nous pourrions appeler globalement le parlementarisme
ouvrier. Même lorsque des luttes éclatent sur base d’une rupture
formelle avec les syndicats, même si un certain niveau de violence est
assumé par les prolétaires, jamais cette rupture n’est consommée
globalement, poussée jusqu’à ses ultimes conséquences : c’est-à-dire
s’organiser non pas seulement en-dehors des syndicats, mais aussi contre
eux. Ce qui signifie rompre radicalement non seulement avec des
organisations, mais surtout avec une pratique : le syndicalisme, qui
n’est jamais que la négociation de la vente de notre force de travail
avec nos exploiteurs…
Des « assemblées populaires » à l’assembléisme !?
Dès le début du mouvement des « gilets jaunes », nombre de sectes
d’ultragauche idéalistes et idéologiques l’ont dénoncé car il ne
s’organisait pas en « assemblées générales », considérées comme le saint
Graal. Depuis lors, circulent des nouvelles de la mise en place
d’assemblées à Commercy, Saint-Nazaire, Montreuil, etc., sans compter
les assemblées « informelles » organisées autour des ronds-points
occupés et des divers blocages.
D’une part, le prolétariat a historiquement toujours structuré sa
lutte autour d’assemblées, de coordinations, de conseils, de soviets, de
communes, de comités, etc. Nous ne pouvons donc que saluer le fait que
des prolétaires reprennent leur lutte en mains, qu’ils se rencontrent,
qu’ils discutent ensemble, qu’ils s’organisent, qu’ils échafaudent des
plans pour l’avenir, qu’ils se réapproprient mille et un aspects de la
vie, qu’ils développent la convivialité, la camaraderie, qu’ils
participent à « libérer la parole »,… d’autre part, nous tenons à mettre
en avant qu’aucune structuration, quelle qu’elle soit, ne sera jamais
une garantie quant au déroulement et au contenu de nos luttes.
Au contraire même, la pratique du démocratisme, de l’assembléisme, du
fétichisme de la massivité dans les structures de luttes marque souvent
un frein à l’extension et à la radicalisation des luttes. Si les
prolétaires rejettent les syndicats, ils risquent néanmoins de
reproduire au sein de leurs « assemblées » la même pratique syndicale,
réformiste, etc. L’émergence de la « démocratie directe des
ronds-points », la tenue de larges « assemblées générales » ouvertes à
tous, signifie souvent la pratique du syndicalisme sans syndicat. Les
« assemblées » et leur « magie » des délégués « élus et révocables à
tout moment » n’ont jamais constitué aucune garantie formelle.
Historiquement, notre seule garantie, c’est notre pratique sociale. Ce
n’est jamais la forme qui prime, mais toujours le contenu…
En outre, le démocratisme ambiant dans ces « assemblées » fait que
tout le monde peut s’exprimer « librement », les grévistes comme les
briseurs de grévistes, les radicaux comme les conciliants : on « libère
la parole » (et il est évident ici que nous ne revendiquons pas la
« liberté d’expression » dont notre ennemie la démocratie fait tellement
l’apologie pour mieux nous faire parler, nous faire taire) mais souvent
on libère aussi la parlotte au détriment de l’action directe. A quoi
cela rime-t-il de voter de grandes résolutions très « radicales » si le
prolétariat ne casse pas les forces d’inertie qui bloquent l’extension
et le développement de la lutte !?
Et après ?
Nous avons essayé de montrer ici que le mouvement des « gilets
jaunes », comme tout mouvement prolétarien dans le passé, est
contradictoire. Pour le moment, y sont présentes à la fois des
expressions de l’idéologie de la société bourgeoise sous forme de fausse
conscience de notre classe, mais aussi des intérêts prolétariens, du
but final de détruire le capitalisme. Et son contenu prolétarien est
confronté à deux dangers : la réaction et le réformisme.
Mais la fausse conscience ne peut et ne doit être dépassée que dans
et à travers la lutte, dans l’expérience de notre classe qui naît et se
régénère dans chaque nouveau conflit ouvert entre les classes. La tâche
des communistes n’est pas de cracher sur un mouvement parce qu’il n’est
pas assez pur, parce qu’il ne fait pas référence à de bonnes sources ou
parce qu’il y manque tel ou tel aspect que nous considérons important :
Pour ceux qui caressent encore ce désir, comment imagine-t-on que
la révolution puisse éclater ? Pense-t-on vraiment que ce sera l’œuvre
d’une convergence de mouvements sociaux, tous dotés de leur juste
revendication, mus par des décisions prises à l’unanimité au cours
d’assemblées où l’idée la plus radicale emportera le morceau ? Et donc
avec un scénario de ce genre : naît un mouvement à la cause impeccable, à
sa tête se trouvent les militants les plus illuminés qui le guident de
bataille en bataille en obtenant des victoires enthousiasmantes, ses
rangs grossissent, sa réputation s’accroît, son exemple se diffuse de
manière contagieuse, d’autres mouvements similaires surgissent, leur
puissance se rencontre, ils s’alimentent et se multiplient
réciproquement, jusqu’à arriver à l’affrontement final au cours duquel
l’État est enfin abattu… Quel beau récit ! Qui l’a produit, Netflix ? A
quel épisode on en est ? Si on ne veut pas en rire, on peut toujours
rester sérieux. (…)
Parce qu’au cours de l’histoire, l’étincelle des émeutes,
insurrections et révolutions a presque toujours surgi non pas de
profondes raisons mais de simples prétextes (par exemple : le
déplacement d’une batterie de canons a déclenché la Commune de Paris,
une protestation contre le rata de la marine militaire a allumé la
révolution spartakiste, le suicide d’un vendeur à la sauvette a lancé le
dit Printemps arabe, l’abattage de quelques arbres a entraîné la
révolte du Parc Gezi en Turquie), nous trouvons vraiment embarrassant
ceux qui face à ce qui se passe avec les gilets jaunes (…) n’acèrent
leur regard que pour y trouver des traces du programme communiste, ou de
la pensée anarchiste, ou de la théorie radicale, ou de la critique
anti-industrielle, ou… Après quoi, suite à la déception de ne pas avoir
discerné dans la rue de contenus suffisamment subversifs, de ne pas
avoir compté de masses suffisamment nombreuses, de ne pas avoir remarqué
des origines suffisamment prolétariennes, de ne pas avoir constaté de
présences féminines suffisamment paritaires, de ne pas avoir entendu un
langage suffisamment correct –on pourrait allonger la liste à l’infini–
il ne reste qu’à s’horrifier et demander à qui peut bien profiter toute
cette agitation sociale. [Finimondo, Di che colore è la tua Mesa?]
La tâche des communistes n’est pas non plus d’approuver tout ce que
fait le mouvement. La tâche des communistes est de saisir le mouvement
sur base de sa dynamique radicale, d’encourager cette dynamique à se
développer comme praxis révolutionnaire, en faveur du projet
révolutionnaire du prolétariat. En tant que communistes, nous devons
accompagner la classe dans sa lutte de clarification de ce projet contre
la réaction et la réforme, pour constituer le lien entre la lutte
actuelle et les luttes passées de notre classe tout en partageant
l’expérience acquise de ces dernières en tant que classe, et aussi entre
la lutte actuelle et les luttes à venir afin de tirer des leçons de
celle-ci pour le futur, en bref pour représenter la lutte historique de
notre classe.
Nous sommes conscients du fait que ce n’est pas facile. Les « gilets
jaunes » sont un mouvement contradictoire comme tout autre mouvement
prolétarien dans l’histoire. Et peut-être qu’il n’en sortira rien dans
l’immédiat, si ce n’est une forte expérience de lutte et de ruptures,
renforçant notre « mémoire de classe ». Mais il est difficile de saisir
un mouvement à travers le prisme de ce qu’il devient quand il est vaincu
(surtout si la défaite est loin d’être achevée).
D’autre part, une partie du mouvement a déjà ouvert une rupture avec
la société bourgeoise, son idéologie et ses institutions – syndicats,
partis de gauche ou de droite, union nationale antiterroriste, etc. Et
le contenu prolétarien du mouvement peut ouvrir la voie à des luttes de
classe plus larges.
Finalement, au risque de paraître provocateur, nous affirmons
que tout le battage médiatique autour du mouvement des « gilets
jaunes » ne peut en aucun cas nous faire oublier cette chose essentielle
qu’il n’existe pas de mouvement « gilet jaune », que celui-ci n’a
jamais existé et ne saurait exister. Et cela pour une raison simple,
fondamentale, incontournable : c’est qu’il n’existe ni classe ni projet
social « gilet jaune »…
Ici et maintenant, partout et toujours, c’est prolétariat
contre bourgeoisie, deux classes sociales aux projets résolument
antagoniques…
Il n’y a en effet que deux projets qui s’affrontent pour le
devenir de l’humanité : d’un côté, le processus historique d’abolition
des rapports sociaux capitalistes et de son Etat, fauteurs de misère, de
guerre, d’exploitation, d’aliénation, d’oppression, de domination… de
l’autre côté, les forces de conservation de ce cauchemar…
# Guerre de Classe – hiver 2018/19 #